- Pourriez-vous me décrire votre parcours ?
J’ai un parcours assez atypique. J’ai suivi des études de droit en me spécialisant dans le droit de l’environnement car ce sont des sujets qui m’ont toujours passionnée : le développement durable a toujours été le fil rouge de mon intérêt. A l’issue de la fac j’ai passé des concours de la fonction publique puis ai obtenu une titularisation en tant que fonctionnaire d’Etat. Je suis rentrée dans l’éducation nationale en tant que gestionnaire d’établissement scolaire durant 3 ans. Puis un concours de circonstances a fait que le rectorat de Dijon a monté un projet pédagogique avec l’entreprise Coca-Cola en lien avec l’Economie Circulaire et à la démarche RSE de Coca-Cola sur le territoire de Bourgogne-Franche-Comté. J’ai été retenue et y suis restée 3 ans.
Puis j’ai entendu parler de l’entreprise Phenix, entreprise tournée vers l’Economie Circulaire et la réduction du Gaspillage. Il y avait tout à faire sur la BFC, rien n’était encore monté sur cette région (région à laquelle je tiens beaucoup car je suis jurassienne). J’ai donc proposé de monter l’entreprise dans cette région car c’était un projet qui avait beaucoup de sens pour moi. J’ai lancé Phenix BFC en septembre 2016.
- Pourquoi avoir choisi Phenix plutôt que Coca-Cola ?
Ce qui était super excitant et ce qui l’est toujours c’est tout l’aspect entrepreneurial de mon poste. Jean et Baptiste les deux fondateurs de Phenix m’ont totalement fait confiance dans le lancement de l’entreprise dans ma région (tout créer de A à Z c’est-à-dire : démarcher les premiers clients, mettre en place du commercial/opérationnel tout de suite, développer l’activité de la région pour y créer des emplois au sein de Phenix grâce à mon activité…).
C’était très agréable car j’étais entrepreneure dans une entreprise, j’avais donc un salaire fixe à chaque fin de mois. Ils m’ont embauchée en CDI après ma période d’essai. J’ai pu m’inspirer des bonnes pratiques et aussi m’inspirer des erreurs de mes collègues sur les autres régions pour encore mieux lancer mon activité. C’est un travail d’équipe mais au quotidien j’étais quand même très indépendante pour démarcher. Je me suis retrouvée comme une vraie entrepreneuse et le challenge intellectuel et professionnel était très excitant pour moi. J’étais sûre que j’y arriverais. Je fais un boulot qui sert à quelque chose avec le fil rouge du développement durable et de l’environnement, du social et du solidaire. J’y ai travaillé très fort mais ça a payé et je suis fière !
- Avez-vous surmonté des obstacles, rencontré des défis ?
Evidemment !
Quand je me suis lancée dans l’aventure de Phenix, je n’avais aucune formation commerciale, je ne savais pas comment faire. Je savais que j’étais quelqu’un d’extravertie, j’adore les relations humaines donc je me disais que ça pouvait correspondre à un profil de commercial et m’aider forcément mais je ne savais pas si je saurais convaincre les magasins de la grande distribution avec qui j’allais potentiellement travailler… Puis quand j’ai eu mes premiers rendez-vous c’était un peu l’inconnu pour moi. Je me disais « crois en toi ! J’acquerrai les compétences sur le tas ». Je me suis aussi faite aidée par un collègue.
Au final ça a fonctionné lorsque j’ai signé mon premier contrat 3 mois après avoir commencé, ça m’a rassurée. Puis j’en ai ensuite re-signé beaucoup après. Mon premier contrat était avec un magasin Super U puis ensuite d’autres de la grande distribution. C’était des super victoires car c’est un défi assez stimulant, c’est un peu de la chasse, on va vendre quelque chose qui a du sens !
En plus on arrive vraiment à avoir des résultats concrets et impressionnants dans la réduction du gaspillage ce qui nous rends encore plus crédibles et motivants ! Quand il y a des salariés qui nous disent « Oh c’est trop cool depuis qu’on bosse ensemble on ne jette quasiment plus rien… ! », c’est une petite victoire qui est énorme en fait. Je ne dors pas beaucoup mais je sais pourquoi je le fais !
- Comment fonctionne exactement Phenix ?
Nous sommes prestataires de services. Notre travail est de mettre en place des services/solutions dans les magasins, des formations, des outils technologiques, faire de la sensibilisation, pour faire en sorte d’essayer de moins gaspiller, donc mieux gérer comment tournent les produits dans les rayons, comment les commander… Aussi apporter des solutions pour savoir comment mieux les vendre (donc souvent avec des tarifs réduits, mais de manière qualitative en faisant en sorte que ces produits continuent à avoir de la valeur aux yeux des consommateurs), mettre en place des plannings associatifs dans les magasins pour les inciter à faire des dons. On va rencontrer toutes les associations partenaires qui font de l’aide alimentaire autour du magasin et on va voir comment elles fonctionnent, quels sont leurs besoins, quels sont leurs jours de distribution, est-ce qu’elles ont des bénévoles, quels sont les produits dont elles ont besoin… et on va faire coïncider les produits des magasins avec les besoins des associations.
On va construire comme ça des ramasses complets sur toute la semaine et permettre aux magasins qui n’ont pas réussi à vendre leurs produits de les redonner dans des bonnes conditions d’hygiène, de tris des produits, de réglementation fiscale.
Cela sensibilise et forme les salariés : avant, ils faisaient rayons-poubelles. Maintenant ils font rayons-« qu’est-ce que je peux faire du produit, ai-je le droit de le donner, si oui : est-ce que je dois le stocker au frais, est-ce que je le range sur un roll mis à disposition dans une zone bien déterminée où tout le monde sait que cet endroit est un lieu pour les associations caritatives, comment j’identifie ce produit…». On forme donc tous les collaborateurs des magasins à cette démarche pour qu’ils comprennent déjà que c’est un projet d’équipe, et que tout le monde doit participer à ce processus de dons.
Il y a donc un vrai rapport de confiance qui se créé, ce qui n’est pas toujours le cas. On a aussi ce rôle de faire en sorte que des deux côtés ça puisse s’organiser parfaitement pour que le magasin soit sensibilisé envers les associations et pour que l’association connaisse mieux le fonctionnement des magasins de la grande distribution, leurs contraintes, leurs problématiques, leurs conditions… Elles sont donc plus à même de ramasser les produits dans de bonnes conditions.
Il y a aussi une troisième condition : il existe des produits qu’on n’a pas le droit de donner et qui finissent dans une poubelle car ils ne peuvent plus rentrer dans le cadre de l’alimentation humaine. Très souvent les magasins sont obligés de jeter ces produits et produisent du méthane. On essaye donc de faire en sorte que ces produits soient revalorisés via l’alimentation animale. C’est-à-dire trouver à proximité des magasins qui seraient intéressées pour reprendre ces produits pour nourrir leurs animaux. Ça peut être par exemple les fruits et légumes pour un élevage de cochon, le pain blanc pour un élevage de volaille, la viande pour une meute de chien. Mais ça se fait également dans de bonnes conditions d’hygiène, de réglementation, c’est très stricte. On est aussi soigneux avec les produits qu’on donne aux animaux que ceux qu’on donne aux associations caritatives.
- Comment vous financez-vous ?
On est une entreprise qui se rémunère au succès. En fait, les grandes distributions (qui sont nos principaux clients même si nous en avons d’autres) vont signer un contrat avec nous et on va se rémunérer en fonction de ce qu’on va améliorer comme pratique dans le magasin. Par exemple, un magasin qui va donner 1000 euros de dons par mois avant de travailler avec nous, eh bien en formant ses équipes, en s’assurant de tous les produits qui vont être donnés le soir, en mettant en place des plannings plus importants de dons, en augmentant ces pratiques là pour être sûrs de sauver tous leurs produits, ces magasins grâce à tous ces travaux ne donneront plus 1000 euros mais par exemple 2000 euros de dons par mois et nous prenons donc une commissions sur les 1000 euros supplémentaires. On se rémunère donc que si on améliore ce que faisait le magasin avant. Et si on n’arrive pas à améliorer les pratiques du magasin alors qu’on a signé un contrat, c’est tant pis pour nous car on ne sera pas rémunéré ! Mais on est surs de nous car on y arrive à chaque fois et ça s’est génial ! Mais c’est un gros enjeu.
On a aussi lancé une application anti-gaspillage en 2019 qui s’appelle Phenix. Avant on faisait du B to B, désormais on s’adresse aussi aux particuliers donc du B to C. Cette application permet à tout à chacun autour de son lieu de vie de trouver des invendus proposés par des commerçants à proximité dans la journée. Si vous avez un magasin qui fait partie de la communauté Phenix, vous le mettez en favori sur l’appli et recevez une notification quand un panier d’invendu est libre. Ces produits-là seront vendus moins chers sur l’application.
- C’est un peu comme Too Good to Go ?
C’est ça, la différence est qu’on travaille avec plus de commerces différents et nous sommes une entreprise française alors que Too Good To Go est une entreprise danoise. On a trouvé pleins de choses différentes : on a mis en place des systèmes d’abonnement, on est aussi moins chers par rapport aux commissions qu’on prend sur les paniers vendus pour convaincre tous les commerçants de toute la France de ne plus rien jeter du tout… !
- Quel est votre mode de gouvernance chez Phenix ?
De manière la plus horizontale possible.
Ce n’est pas un modèle classique, il faut être très transparent avec les équipes. On essaye vraiment chez Phenix de mettre en place un mode d’organisation qui soit beaucoup plus horizontale, où on puisse avoir tous à peu près les mêmes postes au sein de chaque antenne et où on puisse se partager les compétences et activités en fonction des uns et des autres.
Ce n’est pas facile car ça demande de se former à ces sujets, de connaître les outils et méthodes à utiliser pour pouvoir gérer cette gouvernance mais c’est très intéressant aussi. Nos dirigeants sont attentifs à ce genre d’organisation et nous laissent tester notre mode d’organisation dans chaque antenne.
Ça met beaucoup de temps pour être mis en place, pour définir ce qu’on a maintenant et ce qu’on voudrait demain. C’est vraiment un projet d’équipe qu’on a mis en place en 2019 et on a comme objectif de déjà l’avoir commencé dès 2020.
- Pourquoi avez-vous adhéré au Mouves ?
C’est grâce à Phenix, qui a très vite été adhérent du Mouves. Le Mouves est pour moi l’association la plus importante sur les sujets sociaux et solidaires. J’ai souvent regardé vos Newsletter et j’ai essayé de m’intéresser et de participer au maximum aux actions du Mouves.
C’est d’ailleurs grâce au Mouves BFC qu’on a pu faire des visites d’entreprises qui fonctionnent en gouvernance partagée. Et ça c’est un sujet qui nous intéresse beaucoup chez Phenix. Je trouve qu’il est hyper important qu’il y ait des associations qui soient fortes comme ça pour représenter des entreprises sociales et solidaires.
Je suis fan de vous !
- Quel conseil donneriez-vous à une future entrepreneure ?
Je n’ai pas un vrai parcours d’entrepreneure car j’ai eu le confort de me lancer presque comme une entrepreneure dans ma région mais en étant salariée de Phenix.
Le conseil que je pourrais donner quelle que soit la personne et ses études, si elle est passionnée par un sujet et veut agir pour la société, il y a pleins de très belles entreprise sociales et solidaires qui existent. Il ne faut jamais avoir peur d’oser, d’aller rencontrer les personnes qui travaillent dans ces entreprises. Allez les rencontrer, osez les rencontrer en direct et dites-leur que vous avez envie de travailler avec eux. Ça marche toujours ! Quand on a des valeurs et un projet professionnel qui est en lien avec une envie d’agir pour la société, il ne faut pas le lâcher même si c’est difficile et que ça demande beaucoup d’énergie, ça marche si on y croit fort.
Je peux vous donner un exemple de mon parcours : quand Coca-Cola cherchait un poste pour travailler dans leur RSE, je me suis dit que j’avais peu de chance avec mon profil car je venais pas de grandes écoles… Donc plutôt que de faire une candidature banale, j’ai repéré la personne en charge du poste et me suis déplacée sur place pour une de ses conférences, puis je suis allée le voir directement avec mon CV à la main et lui ai dit que ce poste me passionnait et que j’étais la personne qui leur fallait. Il m’a dit « je ne peux pas vous assurer que vous serez embauchée mais je vous assure que vous aurez un premier entretien ». Il a tenu paroles car il a aimé la façon dont j’ai osé passer le cap. Cette première rencontre a été déterminante pour la suite, et j’ai finalement été retenue.