Par André Dupon (Président du Mouvement des entrepreneurs sociaux), Thibaut Guilluy (Directeur général du groupe Ares), Christophe Itier (Directeur général de La Sauvegarde du Nord), Frédéric Bardeau (Président de Simplon.co et de la Fondation Simplon.co)
Le débat sur l’application en France des « Social Impact Bonds » (SIB) est clivant. C’est légitime, le financement des programmes sociaux étant historiquement et quasi exclusivement assuré par la puissance publique, plus que dans tout autre pays au monde.
Héritage des « trente glorieuses », qui ne sont plus qu’un lointain souvenir, l’institutionnalisation de la solidarité reste en effet solidement installée dans les esprits… mais sérieusement mise à mal sur le terrain.
Entrepreneurs sociaux du secteur médico-social, de la lutte contre le chômage, l’exclusion, le décrochage scolaire, la grande dépendance, nous sommes au cœur de ce changement de paradigme de la puissance publique comme au cœur des réalités, au plus près des personnes en grande précarité.
Quand l’Etat peine de plus en plus à abonder nos actions, que les collectivités locales engagent une baisse sensible de leurs budgets d’interventions sociales, ce sont autant de femmes et d’hommes en difficultés que nous ne pouvons plus accompagner, de services d’action sociale à réduire, de professionnels à délaisser. Dans le camp des coureurs et non des chronométreurs, des acteurs et non des commentateurs, nous ne voulons nous y résoudre.
Naïveté ou imposture intellectuelle
Nier cette situation, qui dévore comme jamais notre pacte social et laisse sur le bord du chemin un nombre grandissant d’exclus, relève au mieux de la naïveté au pire de l’imposture intellectuelle.
Et comme toujours, celles et ceux qui en paient le prix ne sont pas les inclus. Mais ces jeunes de la troisième génération de chômeurs. Ces personnes en situation de handicap qui doivent s’expatrier par exemple en Belgique pour trouver un établissement spécialisé. Ces personnes âgées dépendantes qui ne peuvent se payer un logement adapté ou une place en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Ces bénéficiaires du RSA qui ne trouvent plus d’accompagnement individualisé. Ces enfants de familles en déshérence qui ne disposent plus de travailleurs sociaux de proximité…
Les « contrats à impact social », inspirés du modèle des SIB anglo-saxons, sont une bonne nouvelle pour compléter l’intervention financière des pouvoirs publics et non s’y substituer. Ils sont aussi une opportunité rare pour les innovations sociales qui émergent partout dans notre pays, le plus souvent portées par une nouvelle génération d’entrepreneurs nés avec la crise, qui veulent remettre l’économie sous le “contrôle de la conscience”, en combinant initiative privée et utilité sociale.
La caricature est l’ennemie du réel. Car dans l’expérimentation française des contrats à impact social il ne s’agit pas de confier au secteur privé la mise en œuvre opérationnelle de programmes sociaux innovants mais de les financer dans un cadre régulé, un périmètre déterminé, une durée limitée. L’assimilation par leurs détracteurs de ces contrats à impact social aux partenariats publics-privés est infondée.
Projets concrets
Les entreprises sociales que nous sommes, expérimentées, volontaires, et déjà à l’œuvre auprès de milliers de personnes, n’ont bien évidemment pas l’intention de tomber dans de pareils travers, de laisser au secteur financier le choix des programmes, dont la plupart relève d’ailleurs de la puissance publique.
Enfin les taux de rémunération des concours financiers privés investis n’auront rien de comparable avec ceux pratiqués outre-manche. Soyons réalistes et pondérés, cessons d’agiter les chiffons rouges et d’inviter Wall Street et la City à l’émergence de ce nouveau dispositif.
Comment réduire le taux de placement d’enfants mineurs dans des établissements de l’aide sociale à l’enfance ? Comment former en moins d’un an des publics sous-qualifiés aux métiers du numérique qui leur garantissent un job ? Comment créer de l’emploi dans un quartier populaire en développant des modes de livraison écologiques ?
Ce sont autant de projets concrets que nous voulons expérimenter avec l’appui des contrats à impact social, non pas en opposition ou en remplacement, mais en complément des moyens publics.
Une nouvelle voie entre le tout Etat et le tout marché
Il ne suffit pas d’invoquer le « vivre ensemble », encore faut-il s’en donner les moyens.
Il y a déjà bien longtemps que nos entreprises sociales sont soumises aux règles de la gestion, dans un contexte sans précédent de pénurie de moyens. Alors que les besoins sociaux explosent, que les files d’attente des plus démunis s’allongent aux portes de l’hébergement d’urgence, des logements adaptés, des établissements spécialisés, nous cherchons des solutions, plutôt que de nous soumettre et de renoncer. Nous avons besoin de nous appuyer sur une plus large gamme de financements que par le passé pour sécuriser nos actions et changer d’échelle : levée de fonds, financements participatifs, philanthropie… et contrats à impact social.
Le recours au financement privé n’est pas une solution providentielle mais un levier supplémentaire pour nous permettre d’innover avec une meilleure agilité. C’est aussi une occasion donnée demain de flécher une part grandissante de l’épargne dans l’humain et non seulement dans la recherche du meilleur rendement financier.
En développant de plus en plus notre impact social dans un environnement ouvert, nous n’avons rien sacrifié à nos valeurs, à notre quête du bien social. En tentant d’abolir, même modestement, la frontière entre le monde de la finance et celui de la solidarité, nous ouvrons une nouvelle voie entre le tout Etat et le tout marché. Ne nous privons pas de saisir toute opportunité de réarrimer la finance dans le réel.
Entrepreneurs sociaux, nous préférerons toujours le risque potentiel de l’expérimentation à celui avéré de l’immobilisme. L’efficacité économique au service de l’intérêt général, c’est possible !
Les signataires : André Dupon (Président du Mouvement des entrepreneurs sociaux), Thibaut Guilluy (Directeur général du groupe ARES), Christophe Itier (Directeur général de La Sauvegarde du Nord), Frédéric Bardeau (Président de Simplon.co et de la Fondation Simplon.co)
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