Aneta SIDOR – Fondatrice et gérante de « A La Source »

Pourriez-vous me décrire votre parcours ?

Avant de travailler en entreprise j’étais cadre en Ressources Humaines. En 2014, quand j’ai déménagé pour le travail, j’ai eu pleins de péripéties personnelles dont un déménagement qui a mal tourné, j’ai perdu toutes mes affaires, et du jour au lendemain je suis devenue minimaliste sans le vouloir. 6 mois plus tard j’ai perdu mon travail. J’ai donc commencé à réfléchir à ce que je voulais faire à titre personnel et professionnel.

Etant minimaliste je ne supportais pas les emballages, et j’ai trouvé que le VRAC était une idée sympa. J’ai eu l’idée d’un projet d’une épicerie VRAC. Je suis revenue à Lyon et me suis créé un réseau associatif écologique. J’ai à ce moment rencontré plusieurs associations, et à force de m’entourer de ces personnes-là je me suis dit que je n’étais pas seule à vouloir d’un magasin qui va au-delà que de proposer des magasins bio. J’ai alors eu l’idée d’ouvrir une épicerie vraiment 0 déchets, côté consommateurs mais aussi côté entreprise.

Différence entre VRAC et 0 déchets :

Le vrac est une manière de présenter les produits (fruits et légumes, fromages..). Le 0 déchets est un mode de vie plus large qui englobe pleins d’aspects différents que seulement celle de présenter les produits. Ici, on reçoit nos produits principalement sans déchets, dans des grands bocaux avec les produits dedans. On veut faire passer un message : les déchets qu’on garde ne sont plus des déchets à jeter mais des matériaux qui ont de la valeur et qui peuvent être récupérés.

On redonne souvent nos déchets à des entreprises. Je pense que les associations ne vont pas sauver le monde puisque le monde capitaliste est aujourd’hui majoritaire, et qu’il faut que ce soit particulièrement les entreprises qui s’intéressent à l’écologie. Nous, on veut justement montrer que des entreprises peuvent être viables et écologiques. Donc on travaille surtout avec elles.

C’est aussi du militantisme politique pour dire que je ne veux pas donner de l’argent à des lobbys de l’emballage et du recyclage, et que je veux que ce soit des acteurs locaux (surtout des entreprises) qui profitent de cette économie circulaire.  C’est donc créer un éco système pour que ces gens-là aussi aient des matériaux, et créer une dynamique dans l’économie circulaire.

Avez-vous connu/surmonté des difficultés lors de la création de votre entreprise ?

Bien sûr. Déjà le financement. Il y a certaines banques qui n’étaient déjà pas intéressées car elles n’avaient aucun recul sur le VRAC, elles n’avaient pas de statistiques donc certains m’ont écartée juste pour ça. Et ceux qui ont commencé à y réfléchir, à être intéressés, quand ils m’ont demandé ma pièce d’identité ça a coincé. J’ai beaucoup subi la discrimination. On m’a même coupé le RSA car des gens pensaient que je ne pouvais pas rester en France.

Les plus grosses difficultés pour moi ont été la bureaucratie : tous les dossiers à remplir qui n’étaient jamais les mêmes, et la discrimination.

Avez-vous un mode de gouvernance participative ?

On est en apprentissage. Mon objectif de base était que je puisse trouver des personnes en lesquelles je puisse avoir suffisamment confiance et sur lesquelles je puisse me reposer si je ne suis pas là. Des personnes qui soient polyvalentes et autonomes de manière à créer un climat de confiance entre nous et qu’à terme ce soit une entreprise où il n’y ait pas de gérant qui commande tout comme il le veut mais que les salariés puissent eux-aussi prendre des décisions.
En gros, l’état d’esprit serait « le patron qui ne veut pas être chef ». C’est-à-dire qu’il y a quand même une personne qui prends plus de risques (par exemples risques financiers, pénaux,…) car l’entrepreneur doit garder ses responsabilités, mais que sur le reste tout le monde puisse être force de proposition.

Pensez-vous que le 0 déchet va se populariser à long terme et qu’il sera accessible à des classes moins aisées ?

Oui. Je pense que le public n’a aucun souci car il y a de plus en plus de personnes qui se portent sur le sujet. Même si c’est une mode pour l’instant, je pense que ça va peu à peu devenir quelque chose de normal quand la prise de conscience sera plus forte. Déjà, on peut voir que les consommateurs se culpabilisent de plus en plus, ils ont de plus en plus conscience de l’impact qu’ils génèrent en achetant des mauvais produits. Et puis le côté « moi je ne peux rien changer à mon niveau mais je peux y participer et aider indirectement à ce changement en achetant de meilleurs produits» fonctionne bien aussi ce qui fait que ça se popularise peu à peu.

Pensez-vous que les mentalités évoluent grâce à ces initiatives ?

Oui bien sûr. Pour l’instant tous les magasins de ce type sont en augmentation du CA. En tout cas cette année, on a fait 104 % de chiffre d’affaires de plus que l’année dernière. C’est donc la preuve qu’il y a beaucoup plus de clients. On est souvent en rupture de stock. Le problème aussi c’est qu’il y a beaucoup de gens qui veulent consommer mais pas assez de gens qui veulent créer ce genre de projet.

Est-ce que le bio ne serait pas encore trop cher pour que tout le monde puisse y accéder ?

Non, le bio est le prix normal des produits. Une personne qui préfère mettre 1000 euros dans son IPhone plutôt que dans un pain bio a fait un choix de priorité.

J’ai réussi à ouvrir une entreprise qui m’a coûté 250 000 euros en ayant 2000 euros sur mon compte, en ayant subi la discrimination et en ayant eu plusieurs refus de la part des banques. Donc si moi j’ai réussi à manger Bio, en ayant 560 euros par mois, et que j’ai réussi à ouvrir mon entreprise… pour moi c’est une question de priorité. Il faut choisir son mode de vie mais on ne peut pas dire que c’est trop cher. Prendre le temps de cuisiner, mettre le prix dans des shampooings chers… c’est un choix, plutôt que donner de l’argent à des grosses entreprises. Si on veut que les choses changent il faut que tout le monde prenne le courage de changer sa consommation et se dire « Est-ce que j’ai vraiment besoin d’une télé ? Est-ce que j’ai vraiment besoin d’aller dépenser 20 euros dans un bar ? ».

Selon d’où l’on vient est une chose mais là où on veut aller en est une autre. Aujourd’hui être pauvre ou aisé ne détermine pas forcément ta vie, maintenant c’est une question de choix. Les jeunes ont cet avantage sur les anciens d’être plus ouverts et flexibles et plus écolos que les personnes plus âgées.

J’ai vu que vous aviez des produits importés, comment défendez-vous cette démarche non écolo en tant qu’épicerie 0 déchets ?

Si on devait vendre des produits que locaux, ça ferait de nous une épicerie très spécialisée et on n’a pas envie de rentrer là-dedans car ce qu’on veut c’est généraliser le mode d’achat 0 déchets.

Par contre ce qu’on va bientôt faire c’est un marquage au sol avec des paliers en fonction du nombre de kilomètres qui séparent les produits des clients pour que les gens prennent conscience que on a des tisanes qui sont à moins de 100 km alors pourquoi acheter du thé qui est plus de 10 000 km ?

On ne peut pas prendre un risque financier en créant un magasin ultra fermé et local, car au bout d’un moment les gens vont déserter et retourner aux supermarchés acheter des produits bien pires.
Déjà, on a des produits bios d’un label équitable, souvent transformés à Lyon. Ce sont des compromis car les gens en demandent encore mais on aimerait bien qu’ils en achètent moins. On pense que les marquages visuels inciteront plus les gens à consommer moins plutôt que de les priver totalement de ce qu’ils cherchent encore.

Quels conseils donneriez-vous à un.e futur.e entrepreneur.e ?

Déjà savoir ce qu’on veut. Ne pas juste entreprendre pour entreprendre, faire un bilan sur soi : est-ce que j’ai les épaules pour faire entrepreneur.e ? Est-ce que ça m’intéresse ? Est-ce que je vais le faire seul.e ? Qu’est-ce que j’attends de l’entreprise ? Se poser toutes ces questions. Il y a des personnes qui savent ce qu’elles veulent et donc ne vont pas forcément s’arrêter sur toutes les contraintes et difficultés et donc vont jusqu’au bout.

Il faut être persévérant. Durant mon parcours j’ai eu beaucoup de gens qui m’ont mis des bâtons dans les roues, beaucoup de personnes qui m’ont mise en difficulté, et heureusement que je ne me suis pas arrêtée à ça et que j’ai su continuer malgré ça.

Il faut être très rigoureux. Savoir préparer son terrain, anticiper, s’informer, puis créer. Surtout si on est seul, la rigueur et l’organisation doivent s’appliquer d’autant plus.

 

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