Elisabeth Luc – Potentielles

Entre Centre d’affaires, réseau, boutique et galerie, Potentielles est un lieu atypique au service des initiatives de femmes et de la jeune création locale, artisanale et artistique. Né en 2010 avec l’ouverture d’un espace-pilote qui marque par ailleurs la 1ère expérience de Tiers lieu à Marseille, Potentielles est désormais un acteur qui compte dans le paysage de l’entrepreneuriat féminin. Découverte de ce projet avec le portrait d’Elisabeth Luc, sa fondatrice, qui est également l’une de nos marraines pour notre programme Lead’Her !

Quel est votre parcours ?

J’ai 56 ans aujourd’hui et mon parcours est plutôt un enchaînement de hasards. Mes études d’abord, orientées par le hasard de mes notes vers l’économie, alors que j’hésitais entre psycho, sup de co et beaux arts. Bref rien à voir… Mais je ne regrette pas. J’y ai découvert la force, et le danger, du mécanisme cause à effet.

Côté “métier”, c’est aussi beaucoup de hasards, car, autant que je m’en souvienne, je n’ai jamais été capable de répondre à la fameuse question “quel métier veux-tu faire plus tard ?”.

J’ai récemment compris pourquoi. Un métier n’est qu’une fonction. Il n’y a pas de sens là dedans, et je suis bien incapable de me projeter dans une aventure qui n’a pas de sens. J’ai besoin d’un objectif qui me dépasse. Je ne raisonne pas en termes de métier mais plutôt de mission, le métier se construit autour.

Tout est donc encore une affaire de hasards, qui m’amènent à des situations, qui se transforment en rencontres, qui se transforment en opportunités professionnelles, etc. J’aime être surprise. Je choisis parmi les hasards ceux qui me parlent.

De hasards en hasards donc, je me retrouve à mon compte à 21 ans, puis salariée dans la mutualité, puis création d’une régie publicitaire avec une amie. Puis retour à la mutualité qui me rappelle pour réorganiser et prendre en main le service Production d’une union de mutuelles. Puis re-création d’entreprise et simultanément chargée de la commercialisation d’un Mastere spécialisé en management pour une collectivité territoriale.

Tout ça parsemé de reprises d’études en management de l’innovation, Qualité, Développement durable, graphisme. J’aime apprendre. Et j’ai aimé tous ces hasards qui m’ont ouvert des portes imprévues et développé mon propre processus créatif. Ma lucidité pose les problématiques, le hasard m’inspire des solutions. Ma folie les expérimente. Mon pragmatisme les consolide.

Comment êtes-vous devenue entrepreneur sociale ?

Entrepreneure sociale, je crois que je l’ai toujours été. Le terme “entrepreneuriat social” a mis un nom sur ce que j’avais jusqu’ici toujours vécu comme un paradoxe, pas toujours facile à vivre. Dans l’esprit des gens, il y a souvent ce besoin de ranger les choses qu’ils ne comprennent pas : les entreprises qui n’ont qu’un ignoble objectif, gagner de l’argent en exploitant les autres, les associations qui réparent le monde que les précédentes contribuent à détruire. Pour ma part, je pense que le monde est plus complexe que ça et capable de s’exprimer autrement qu’en noir ou blanc.

L’entrepreneuriat social, c’est pour moi le champ de ceux qui souhaitent faire évoluer les visions, les règles du jeu, et qui mouillent leur chemise pour que ça arrive. Chaque projet dessine une nouvelle réalité, coconstruit le monde, l’impacte. L’entrepreneuriat social entend l’impacter positivement. J’aime cette idée d’être en fusion active avec ce qui m’entoure. A “social”, je préfère d’ailleurs le terme “sociétal”, plus global, plus inclusif, plus préventif.

Bref, ce qui m’anime c’est la notion de projet, ce chemin vers autre chose, de différent, d’être partie prenante d’un changement. Pas subir.

Comment s’organise votre projet ?

L’aventure Potentielles démarre en 2007, il y a donc bientôt 11 ans. L’objectif est de pousser plus de femmes à investir le paysage économique. Pour faire évoluer ce paysage, l’équilibrer, défiger ses codes.

Les axes de travail : d’une part inspirer aujourd’hui l’entrepreneuriat féminin de demain par la mise en avant d’initiatives, d’information, de modèles. D’autre part, consolider l’entrepreneuriat féminin d’aujourd’hui pour montrer plus tard de bons modèles…

Cela se traduit sur le terrain par un travail de fourmi mené au quotidien auprès des femmes (environ 500 par an) qui entreprennent :

– de l’appui technique aux projets avec une programmation soutenue d’ateliers formations, permanences, accompagnements individuels, actions réseau, un évènement annuel (les Journées de l’Entrepreneuriat Féminin) et une couveuse d’entreprises depuis 2017.

– un tiers-lieu multi-fonctionnel en accès libre, pour faciliter le développement des projets, qui propose notamment : coworking (si ma mémoire est bonne, on a été le 6eme coworking implanté en France…), domiciliation d’entreprise,  salle de réunion (ou d’autre chose…), le Magasin alternatif (showroom et magasin-école du petit commerce artisanal), etc.

Notre particularité est notre approche personne/projet, pensée en fonction des spécificités du public féminin. Enfin, Potentielles est une structure engagée et se veut par ailleurs un terrain d’observation et d’expérimentation de l’entrepreneuriat féminin régional, de sensibilisation à l’Egalité professionnelle.

Notre univers est très évolutif, très réactif. Comme moi, il s’inspire de ce qu’il croise, de l’expérience, de l’écoute, du hasard, avec une forte dimension expérimentale. Nous travaillons aujourd’hui à la constitution d’une Coopérative d’activité et d’emploi, spécialisée autour des spécificités de l’entrepreneuriat féminin. Avec l’objectif de travailler sur le sujet femme et gouvernance.

Quels sont les enjeux de votre structure ?

Notre combat, c’est la place des femmes dans le monde économique.

Personnellement je ne milite pas les bras levés mais plutôt à l’huile de coude. J’aime construire. Le travail de Potentielles se veut donc besogneux, structurant. C’est plus discret mais je crois plus producteur d’effet.

Nous essayons d’agir pour demain, d’implanter des réflexes, de détricoter le résultat de milliers d’années d’histoire, de poser des possibles. Il y a tant a faire. La route est longue. Je ne verrai jamais les résultats. Ca me frustre mais je me console en me disant que je contribue à une évolution vers une égalité… naturelle, qui n’aurait plus besoin de quotas et deviendrait un non-sujet…

L’enjeu est donc de taille, et il s’agit de trouver les moyens de poursuivre, dans de meilleures conditions et au quotidien, l’aventure Potentielles. Entre autres via la fonction Coopérative prévue dès octobre prochain. C’est le prochain défi à relever.

Quels sont les obstacles que vous avez surmonté ?

– D’abord le fait d’être une femme. Je porte comme chacun chacune une histoire chargée d’idées reçues et tous les freins qui vont avec. Ceux des autres, les miens. Mon doute permanent surtout.

– L’incompréhension, l’incrédulité, voire la méfiance, de certains acteurs face au nouveau modèle d’accompagnement que je proposais. Mon attitude paradoxale, à la fois trop fondeuse et trop effacée, pas assez politique, ne collait pas au moule. A l’époque, trop entrepreneuriale pour les uns, trop sociale pour les autres, mon approche a convaincu les publics, mais pas les acteurs du territoire. Il a fallu des années de preuves pour être prise au sérieux. Et encore…

– Le manque de ressources : ce type de projet demandait de vrais moyens et je n’avais que mes bras, ma bonne volonté, 3 sous en poche et mon excès d’humilité à l’époque. Ce projet aurait dû être porté par une volonté et les moyens d’un territoire. Je n’ai pas su à quelle porte taper, et je n’ai pas su convaincre. J’en garde un amer souvenir. Sans compter que le mode survie est épuisant et ne facilite pas la gestion du temps. Il n’est pas facile de recruter avec des moyens limités, ce qui implique de mener pas mal de choses de front…

– L’isolement : j’ai fondé Potentielles contre de nombreux freins et conseils avisés. Je sais aujourd’hui que j’avais raison, dix ans d’histoire et les publics sont là pour le prouver. Mais j’ai du longtemps porter l’aventure sur mes seules épaules. C’est important de pouvoir partager un projet, des valeurs.

Si vous aviez un conseil à donner à un(e) futur(e) entrepreneur(e) ?

Volonté, persévérance, et vocabulaire… Il y a des mots clés qui ouvrent des portes, d’autres qui les ferment. Il s’agit de bien les choisir pour défendre son projet. Ne jamais négliger la forme car, bizarrement, elle prend souvent le pas sur le fond quand il s’agit de trouver des partenaires…

Dans ces nouveaux modèles où l’argent n’est pas une fin mais un moyen, l’équilibre économique n’est pas facile à atteindre. L’utilité sociale coûte plus qu’elle ne rapporte. Il faut un heureux dosage entre candeur et lucidité, risque et mesure, folie et sens des responsabilités pour transformer projet en réalité… durable.

Et ne pas être seul.e.

Pourquoi avez-vous adhéré au Mouves ?

Pour les raisons évoquées plus haut. Le partage de valeurs surtout. Personnellement, j’ai adhéré pour me rassurer, pour m’informer, pour m’enthousiasmer d’autres initiatives dont j’ai plaisir à jalouser l’intelligence, pour y parler d’une autre façon de penser l’économie, hybride, dans laquelle je me retrouve, dans laquelle l’argent reste un moyen nécessaire bien sûr, mais pas un objectif en soi.

Pour moi, être membre du Mouves c’est rejoindre un environnement d’échange d’idées, pas un jeu de cartes de visite. C’est rejoindre un réseau sans costumes ni cravates, qui s’interroge, partage, expérimente et construit demain.

Merci le Mouves, si ça n’était pas déjà fait, j’adhèrerais volontiers ;-)

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